La sonnette de la porte d’entrée retentit. Bien que la chambre d’Armen était la plus éloignée de l’entrée de l’appartement dans lequel elle vivait avec son petit frère, sa jeune sœur et ses parents, impossible de faire abstraction du bruit soudain et strident. Ni de la réaction de sa sœur de treize ans (soit d’un an sa cadette). « J’arriiiiive ! » Armen l’entendit courir dans le couloir puis déraper au tournant menant au petit hall. Elle était comme ça. Pleine de vie, toujours avec des réactions… Un peu exagérées, Lynda était toujours d’humeur joyeuse et enthousiaste, contrairement à son aînée. Armen était plutôt du genre calme et à ne pas véritablement montrer ce qu’elle ressent ou, en tous cas, pas de manière si excessive. Elle passait son temps à travailler et obtenait de très bons résultats à l’école. Sa sœur, elle, était plutôt tête en l’air mais, malgré ça, Armen l’aimait beaucoup, ainsi que son petit frère de deux ans qui ressemblait beaucoup plus à Lynda. Son petit frère, la raison de tant de vacarme. Lynda l’adorait, elle s’en occupait tout le temps, au détriment de ses études dont elle venait d’abandonner lâchement les devoirs.

Armen soupira. Elle savait que le boulet de canon ne tarderait pas à enfoncer la porte de sa chambre, portant fièrement le petit garçon dans ses bras. Elle voulait terminer son travail avant mais ça n’allait pas être chose facile alors elle continua plus vite d’écrire les quelques lignes qui lui restaient. Mais toujours rien. Pour une fois, ça ne s’était pas passé comme d’habitude. C’était étrange. A moins que ça n’était pas ses parents qui rentraient de promenade avec son frère ? Ils étaient pourtant partis depuis un moment déjà. Dans tous les cas, Lynda serait quand même venue l’informer de leur visiteur, malgré les interdictions d’Armen d’entrer dans sa chambre lorsqu’elle travaillait. Oui. En fait, le plus inquiétant, c’était le silence. Armen n’était plus vraiment habituée à lui, avec sa sœur et son frère dans l’appartement qui n’est pas très bien insonorisé.

Elle se leva. Il lui restait encore quelques exercices mais tant pis, elle les ferait après être allée voir. Lynda avait peut-être besoin d’aide. Elle passa d’abord la tête à travers la porte pour essayer de capter une conversation. Elle entendit bien des voix, mais pas assez fortes pour entendre le sujet de cette visite. Elle eût beau essayer d’écouter, Lynda ne parlait pas. Ou bien sa voix ne se distinguait pas des autres. Elle ouvrit alors la porte et sortit dans le couloir. « VOUS MENTEZ ! C’EST IMPOSSIBLE ! » La haine et la tristesse qu’Armen perçut dans la voix de sa sœur la paralysa un instant sur place. « Lynd… ? » Elle eût seulement le temps de la voir courir, la tête baissée. Puis, elle entendit une clé dans une serrure. Mais que se passe-t-il ? Elle commençait sérieusement à s’inquiéter, une telle réaction de la part de sa sœur était plus qu’inhabituelle. Elle se décida finalement à aller voir à la porte d’entrée. Lorsqu’elle aperçut les deux agents de police qui se tenait toujours sur le seuil, son cœur se serra dans sa poitrine. « Vous devez être Armen Castel ? La fille de Sandra et Eric Castel ? » Ils n’attendirent même pas de réponse. « Nous sommes désolés de devoir vous l’annoncer mais vos parents et votre frère sont décédés il y a une heure. Ils ont été attaqués par un contaminé, dans un parc. » Sur le coup, Armen entendit les paroles du policier mais elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il disait. Ses parents ? Son… frère …? « Mes… Mes parents, vous dites ? Mon frère... ? » « C’est cela, mademoiselle. Toutes nos condoléances. Nous vous appellerons pour vous dire quand auront lieu les obsèques. » Les obsèques ? A ce moment-là, la seule pensée d’Armen fut Mais qui ira à leurs obsèques ? Nous n’avons plus de famille. Elle répondit simplement « Merci. » Et les deux policiers prirent congés. Armen referma la porte derrière eux et resta un moment sous le choc. Elle ne ressentait rien… Comment cela se faisait-il ? C’était comme un grand vide en elle. Elle ne ressentait ni rage, ni haine, ni tristesse, ni douleur. Juste… Le néant. Elle sentit quelque chose sur ses joues. Des larmes. Les larmes coulaient toutes seules. Elle s’assit, dos au mur, et enfouit sa tête dans ses genoux.

Au bout d’un moment, elle reprit ses esprits. Lynda. Elle essuya ses yeux avec sa manche et se dirigea vers la porte de sa chambre. Elle frappa. « Lynda ? » Aucune réponse. La jeune fille essaya d’ouvrir la porte mais elle était restée fermée à clé. « Lynda, ouvre s’il te plaît. » « Laisse-moi ! » « Ecoute, je sais que c’est dur mais il faut que… » La porte s’ouvrit d’un seul coup et Armen tomba nez à nez avec le visage ravagé par la rage et les larmes de sa sœur. « C’est impossible qu’ils soient morts, tu entends ? Impossible ! » Armen ne répondit rien, elle était pétrifiée devant le regard haineux de sa sœur. Celle-ci referma alors brutalement la porte, laissant la jeune fille complètement désorientée. Armen ne savait pas quoi lui dire. Et elle ne ressentait toujours rien… Pourquoi ? Elle n’avait jamais vraiment éprouvé de sentiments mais elle aimait sa famille. Devant un tel événement, pourquoi est-ce qu’elle ne ressentait rien de plus que du vide ?

Durant les jours qui suivirent, Lynda ne sortit pas de sa chambre, même pas pour manger ce qu’Armen lui apportait. Elle fut également la seule à aller à l’enterrement. Lorsqu’elle rentra, elle retrouva Lynda assise à la table de la cuisine. Elle ne put s’empêcher de sourire. « Ne souris pas. » La haine était toujours présente dans sa voix. Son sourire s’estompa. « Lynda, je suis désolée de ce qui nous arrive… » « Tu es désolée ?! Simplement désolée ?! Ce sont tes parents et ton frère qui sont morts ! Ta famille ! Et tout ce que tu es, c’est désolée ? Ils se sont faits massacrés par un contaminé ! Massacrés ! » Armen resta de nouveau figée sur place. Elle ne reconnaissait plus sa sœur. Toute cette haine… Elle ne l’en savait pas capable. « S’il te plaît, ne rend pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont… » « Ça n’a l’air pas si difficile que ça pour toi puisque tu arrives encore à sourire, toi à qui ça n’arrivait jamais ! » Jamais ? Mais où était passée sa petite sœur ? « Tu me dégoûtes. Tu me dégoûtes autant que ces contaminés qui les ont assassinés » Là, Armen commença à voir rouge elle aussi. « Ne les rend pas tous responsables de l’acte d’un seul. » « Que ce soit lui ou un autre, ils ont tous massacré des innocents. Ils sont tous de la vermine. » « De la vermine ? Comment oses-tu juger de cette manière ? Les contaminés étaient des humains comme toi et moi, avant qu’ils ne se fassent contaminer ! » « Tu leur cherches des excuses, maintenant ? » « Ce n’est pas de leur faute, s’ils ont été contaminés. » Lynda garda un moment le silence durant lequel elle jaugea sa sœur du regard. « J’éliminerai cette vermine. » « Quoi ? « Éliminer » ? Tu penses qu’ils n’ont pas le droit de vivre ? Ce sont des êtres vivants comme toi et moi ! » « Ils n’ont pas le droit de tuer des innocents. » « Parce que toi, tu en as le droit ? » « Je ne tuerai pas d’innocents. Je les sauverai en tuant des monstres. » Armen en resta abasourdie. Elle avait toujours pensé de cette manière et trouvait d’ailleurs les agissements de l’Etat absurdes. S’il y avait bien une question sur laquelle Armen avait un avis, c’était celle-ci. Pour elle, un être vivant avait le droit de vivre. Et personne ne pouvait lui retirer ce droit légitime. Sûrement pas de cette manière. Bien sûr, le contaminé qui avait tué sa famille ne dérogeait pas à cette règle, mais elle ne pouvait pas le tuer simplement par vengeance comme sa sœur voulait le faire. « Tu veux simplement te venger. » « Non. Je veux que ces massacres cessent. » « Et tu crois qu’ils cesseront en provoquant d’autres massacres ?! » Lynda ne répondit pas. Elle saisit le sac qui était posé à côté d’elle et sortit, laissant Armen seule, incapable de raisonner sa sœur.

Plusieurs jours passèrent durant lesquels Armen continua sa vie. Elle mangeait, dormait, allait en cours, travaillait. Mais pas un seul jour ne se déroulait sans qu’elle ne repense à sa dispute avec sa sœur. La première et peut-être aussi la dernière. Les premiers jours, Armen espérait que Lynda revienne, elle ne savait pas où elle avait pu partir. Mais, au fond d’elle, elle savait qu’elle ne rentrerait plus jamais à la maison. Cet événement avait révélé chez elle un aspect qu’Armen n’avait jamais soupçonné. Parce que oui, pour elle, les gens ne changent pas. Ce comportement, cette façon de penser de la part de sa sœur, elle les avait toujours eus. Seulement, ils étaient enfouis en elle et ce sont réveillés suite à l’événement qui était survenu. C’est pourquoi Armen ne l’avait pas retenue de force. Elle savait qu’elle ne pouvait pas la changer. Le seul moyen, peut-être, de lui faire entendre raison, c’était de lui prouver qu’elle avait tort.

A seize ans, elle entra chez les Ölokoges, comme elle l’avait toujours voulu, comme ses parents l’avaient voulu, comme sa sœur l’avait voulu, comme son petit frère l’aurait sans doute aussi voulu pour elle un jour. Elle aussi voulait régler le problème des contaminés, mais à sa manière : trouver un remède au DC-01. Après être entrée chez les Ölokoges, Armen apprit que Lynda s’était engagée chez les Katars. Alors ainsi, elles avaient pris des chemins si différents. Après tout, ce n’était peut-être pas très étonnant, étant donné leurs personnalités très différentes au départ. Armen lui en veut, à présent, d’agir de cette manière. Elle sait ce que les Katars font, comme les Wrists. Elle ne les porte pas dans son cœur à cause de leurs agissements. Globalement, elle déteste tous ceux qui ne respectent pas la vie. A son avis, les contaminés ne sont pas véritablement fautifs, ils ne se contrôlent pas. C’est pourquoi elle veut trouver une solution sans avoir recourt au meurtre.

Après avoir été assistante durant six ans, elle devint dresseuse de bêtes dans l’optique d’accéder au rang de chercheuse de remède. Elle tint à être dresseuse pour être un peu plus libre de ses mouvements et, ainsi, mener ses propres recherches de son côté sur le virus DC-01. Ainsi, elle travaille du matin au soir. Elle est toujours vêtue d’une blouse blanche lorsqu’elle travaille (c’est-à-dire tout le temps pratiquement) et accompagnée de son ordinateur portable où elle stocke toutes ses recherches, ses observations, ses données, etc… Elle est intelligente et toujours très sérieuse et concentrée et ne montre pas vraiment ses sentiments. Elle n’aime pas vraiment qu’on parle d’elle et peut se montrer distante comme sympathique, en fonction de la manière dont vous vous comporterez avec elle. Elle est convaincue de ses idées et s’y accroche. Le fait qu’elle ne sort jamais de son boulot la rend un peu coincée. Elle n’aime tellement pas l’idée que sa sœur soit devenue un assassin qu’elle en est venue à la détester et sera prête à tout pour que ses recherches aboutissent.