Tokyo n'est qu'une sombre histoire. Ce sont des catacombes, ça n'a plus l'air d'une ville. Les gens comme moi ont été optimistes, pensant y naître, y vivre, s'y marier, y avoir des enfants, y travailler et y mourir. On s'y attendait pas, vous savez. Un jour, ça nous est tombé dessus, comme ça. Le premier ministre est apparu sur les écrans de la métropole avec son air désolé et accablé. On a jamais retenu rien de plus que les mots "crise", "sans espoir", "défaite" dans son discours. Tokyo a sombré dans la faillite en 2006, et pourtant, qu'est-ce que ça a changé ? On se dit toujours que les malheurs n'arrivent qu'aux autres. Que c'est les autres qui sont touchés par la crise. Alors nous avons vu la jeunesse se révolter, s'engouffrer dans des affaires trop sombres. Trafics, vols, une délinquance qui n'a cessé de s’accroître et qui a petit à petit pris le nom de gang. Eldorado, le tout premier qui a fait parler de lui. Dehors, nous avons vu les jeunes se battre. Aux poings, aux couteaux, aux mots. Ils n'ont que la rage et la faim à la bouche parce que leur avenir ne pouvait plus être assuré. Et si seulement la crise avait été notre seule ennemie.
Le 21 décembre 2008, Tokyo se fait avaler par les flammes. Deux avions terroristes se sont écrasés sur le centre de recherche au coeur de la ville. Je me souviendrai toujours de ce soir d'hiver, marchant le long des rues accompagné de ma femme et de ma fille. Je me souviens du bruit qui nous avait abasourdi quelques minutes, des projections et, surtout, de cette fumée opaque qui se dégageait. Nous n'entendions plus rien mais nous voyions les gens pleurer, hurler, tomber, courir. Ca aurait pu être un événement tristement banal, au final. Mais c'est faux. Faux, parce que c'est de là que les mutants sont apparus. La ville a été évacuée trop tard. La population était déjà touchée. Certains mourraient, certains survivaient, à la seule différence qu'à leur réveil ; ils n'étaient plus les mêmes. L'on a commencé à voir des individus lambda traverser des flammes sans se brûler, d'autres voler en l'air et certains se transformer.
On osait penser que c'était fantastique, ces pouvoirs. C'était pourtant juste effrayant. Effrayant parce qu'on ne se sentait plus en sécurité dans la rue. Les gangs devenaient puissants, plus forts que l'armée, très certainement. Atlantide, Tikal, Shangri-La, Eldorado, tous se battaient entre eux. Aux poings, aux couteaux, aux mots. Aux pouvoirs. Pour l'argent, pour la survie. Je ne pense pas que ça va vous surprendre si je vous dit que certains s'en sont amusés. Les hauts placés de la société, les rois, les entreprises. On raconte qu'ils organisent - encore aujourd'hui - des combats d'homme à homme, gang contre gang. Le gagnant remporte le pactole misé sur sa tête. Le perdant n'aura plus rien, même plus sa fierté. Seule l'humiliation persiste, la rancœur.
Tout ça pour de l'argent. Tout ça pour retrouver l'espoir.
Et maintenant ? Maintenant, un an plus tard ? Que reste-t-il de ces cendres ?
